N° 8961. - Loi assurant la juste répartition et une meilleure utilisation
des hommes mobilisés ou mobilisables [1].

Du 17 Août 1915.

Promulguée au Journal officiel du 19 août 1915.)

LE SÉNAT ET LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS ONT ADOPTÉ,

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI dont la teneur suit:

ART. 1er. Les hommes qui, en vertu de l'article l42 de la loi du 21 mars 1905, sont autorisés à ne pas rejoindre leur corps immédiatement ou sont mis à la disposition des ministres de la guerre ou de la marine, ainsi que ceux placés en sursis d'appel pour le service dès administrations publiques (État, départements, communes), seront, s'ils n'appartiennent pas au service auxiliaire ou à la réserve de l'armée territoriale, incorporés après avoir été remplacés conformément aux. dispositions de l'article 2 ci-après. Si leur remplacement est de nature à entraver le fonctionnement des services, ils pourront être maintenus à leur poste, par une décision motivée du ministre de la guerre, sur la proposition du ministre compétent.

2. Dans les administrations, établissements et services publics, il sera pourvu au remplacement temporaire des fonctionnaires, agents ou sous-agents incorporés, de préférence:


1° Par des fonctionnaires, agents ou sous-agents retraités qui pourront, sur leur demande et s'ils sont reconnus aptes, être rappelés à l'activité pour la durée de la guerre;
2° Par des militaires mutilés ou réformés pendant la guerre qui pourront, sur leur demande et après examen d'aptitude être admis à des emplois compatibles avec leurs infirmités;
3° Par leurs femme, mère, filles ou soeurs ou, à défaut, des femmes, mères, filles ou soeurs de militaires tués ou blessés pendant la guerre.

3. A partir de la promulgation de la présente, tous les hommes des classes mobilisées ou mobilisables, classés ou versés dans le service auxiliaire, ainsi que ceux placés dans la position de réforme temporaire ou de réforme n° 2, devront être, trois mois après la décision qui a prononcé leur affectation ou leur réforme, examinés par la commission spéciale de réforme.

Ledit examen aura lieu dans le délai d'un mois à partir de la promulgation de la présente loi, pour tous les hommes dont l'affectation au service auxiliaire ou la réforme seront antérieures d'au moins trois mois à cette promulgation.

Seront également présentés à la commission Spéciale de réforme les hommes du service armé qui seront proposés par les médecins chefs de service comme susceptibles d'être versés dans le service auxiliaire.

Ne pourront faire partie de la commission spéciale de réforme, ni l'assister à quelque titre que ce soit, les médecins exerçant ou ayant exercé habituellement leur profession dans la subdivision ou dans les subdivisions limitrophes.

Ceux des hommes qui seront reconnus aptes au service armé suivront le sort de leur classe.

Ceux qui seront maintenus ou classés dans le service auxiliaire seront employés selon les besoins de l'armée et conformément à leurs aptitudes.

En cas de maintien de l'affectation au service auxiliaire ou de la position de réforme, la décision de la commission spéciale de réforme sera définitive, sous réserve, en ce qui concerne les hommes main tenus dans le service auxiliaire, de l'exercice des droits conférés aux chefs de corps et de services, et aux commandants de dépôts, par le paragraphe 9 du présent article.

Sont dispensés de l'examen prescrit au premier alinéa du présent article:

1° Les hommes classés ou versés dans le service auxiliaire et ceux placés dans1a position de réforme n° 2 ou de réforme temporaire qui, antérieurement à la promulgation de la présente loi, ont déjà été effectivement contre-visités, soit par le conseil de révision, soit par la commission spéciale de réforme, soit par la commission des trais médecins instituée par l'instruction ministérielle du 14 novembre 1914 ;
2° Les hommes qui, précédemment exemptés ou réformés, ont été classes dans le service auxiliaire, soit par le conseil de révision, soit par la commission spéciale de réforme, à la suite de l'examen qu'ils ont subi, erg application du décret du 9 septembre 1914 ou de la loi du 6 avril 1915;
3° D'une manière générale, les hommes qui, depuis la mobilisation, ont été examinés par un conseil de révision et par une commission spéciale de réforme, ou par deux commissions spéciales de reforme, si la dernière décision dont ils ont été l'objet les a classés ou maintenus dans le service auxiliaire ou dans la position de réforme.

A tout moment, les chefs de corps et de service et les commandants de dépôts pourront, après avis motivé du médecin chef de service, présenter à la commission spéciale de réforme, pour être versés dans le service armé, les hommes incorporés du service auxiliaire qui leur paraîtront susceptibles d'être versés dans ledit service armé.

Les hommes du service armé déclarés inaptes à faire campagne pour raisons de santé ne pourront être maintenus dans cette situation pendant plus de deux mois sans être examinés par la commission spéciale de réforme. Cette commission, outre ses attributions de droit, aura qualité pour décider si les hommes dont il s'agit sont ou non aptes à faire campagne. Dans le cas où elle prononcera l'inaptitude, cette situation ne pourra se prolonger pendant plus de deux mois sans un nouvel examen par ladite commission.

4. Les exemptés ou réformés ainsi que les hommes dégagés par leur âge de toute obligation militaire sont autorisés à contracter dans les services de l'armée, et dans la mesure des besoins, pour la durée de la guerre, et après vérification d'aptitude, un engagement spécial pour un emploi à leur choix.

5. Les gradés et hommes de troupe du service armé placés:

1° Dans des emplois sédentaires, soit dans la zone de l'intérieur, soit dans la zone des armées;
2° Dans les services automobiles de l'intérieur; seront remplacés sous les mêmes réserves qu'à l'article 1er

a) Par des gradés et hommes de troupe contractant un engagement volontaire conformément aux dispositions de l'article 4, ou qui se trouvant dans les conditions déterminées par ledit article, ont été autorisés à contracter un engagement volontaire antérieurement à la promulgation de la présente loi;
b) Par les hommes du service auxiliaire et, à défaut, par des réservistes territoriaux ou des territoriaux, en commençant par les pères des familles les plus nombreuses et des classes les plus anciennes.

6. Le ministre de la guerre est autorisé à affecter aux établissements, usines et exploitations travaillant pour la défense nationale les hommes appartenant à l'une des classes mobilisées ou mobilisables, chefs d'industrie', ingénieurs, chefs ale fabrications, contremaîtres, ouvriers, et qui justifieront avoir, pendant un an au moins, exercé leur profession, soit dans lesdits établissements, usines et exploitations, soit dans des établissements, usines et exploitations similaires. Pour les exploitations houillères, le délai d'un an est réduit à six mois.

Les hommes remplissant les conditions ci-dessus devront remettre à l'autorité militaire une déclaration signée par eux, indiquant le temps durant lequel ils ont exercé leur profession et les établissements usines et exploitations où ils l'ont exercée.

 

Les ouvriers manoeuvres affectés dans les conditions déterminées

par l'alinéa 1er du présent article seront choisis de préférence parmi les hommes du service auxiliaire, et, à défaut, parmi les réservistes territoriaux et les territoriaux, en commençant par les pères des familles les plus nombreuses et les classes les plus anciennes.

A titre transitoire, les hommes qui, sans satisfaire aux conditions déterminées par le paragraphe 1er, sont présentement détachés dans les établissements, usines et exploitations travaillant pour la défense nationale, pourront être maintenus si, dans le délai de deux mois au plus, une commission qui sera instituée dans chaque région, composée en nombre égal de membres patrons et de membres ouvriers, présidée par un délégué du ministre de la guerre ou du ministre de la marine, a donné à ce maintien un avis favorable.

Pour les exploitations houillères, la commission constituée au siège de chaque mine sera présidée par l'ingénieur en chef des mines ou son délégué ingénieur. Elle sera composée mi-partie de patrons, mi-partie d'ouvriers mineurs. Le délégué mineur ou son suppléant en fera partie de droit.

En ce qui concerne les mineurs des régions envahies, l'avis sera émis par la commission militaire des mines, à laquelle seront adjoints un membre ouvrier et un membre patron.

Les hommes visés aux paragraphes ci-dessus demeureront à la disposition du ministre de la guerre.

Ils seront placés dans les conditions et soumis aux obligations prévues par les paragraphes 3 et 6 de l'article 42 de la loi du 21 mars 1905. En ce qui concerne leurs salaires, le décret du 10 août 1899 sur les conditions du travail dans les marchés passés au nom de l'État sera applicable de plein droit.

7. Ceux qui auront fait figurer des énonciations fausses dans la déclaration prévue par le deuxième paragraphe de l'article 6 de la présente loi ou ceux qui, d'une manière quelconque, auront trompé ou tenté de tromper l'autorité. sur leur véritable qualité, profession ou aptitude, et ainsi obtenu ou tenté d'obtenir, fait maintenir ou tenté de faire maintenir soit leur mise en sursis d'appel, soit leur renvoi comme mobilisés dans un établissement militaire ou dans une usine ou entreprise privée travaillant pour l'armée, les chefs d'établissements, d'usines et d'exploitations qui auront employé à d'autres travaux que ceux exécutés en vue de la défense nationale les hommes affectés dans ce but auxdits établissements, usines et exploitations, seront poursuivis devant, le conseil de guerre et punis d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de cinq cents francs à cinq mille francs (500f à 5,000f ).

Tout chef de service dans l'ordre administratif ou militaire, tout directeur d'usine ou d'entreprise privée, et toute autre personne qui aura facilité, sciemment le délit ci-dessus spécifié, seront poursuivis dans les mêmes conditions comme complices et punis des mémés peines.

L'article 163 du Code pénal sera applicable.

Les peines ci-dessus énoncées ne seront exécutées qu'à la cessation des hostilités.

8. Les gradés et hommes de troupe du service armé appartenant aux classes de l'armée active ou de sa réserve, aptes à faire campagne, qui n'ont pas été sur le front depuis le début de la campagne, présents dans les dépôts au moment de la promulgation de la présente loi, ne pourront être maintenus sous aucun prétexte.

9. Une inspection sera faite tous les trois mois par un contrôleur général de l'armée, assisté d'un officier et d’un médecin militaire délégués par le ministre de la guerre, tous deux choisis en dehors de la région, dans les formations sanitaires et services de toute nature, à l'effet de renvoyer dans les armées les gradés et hommes de troupe aptes à faire campagne qui se trouveraient indûment ou en surcroît des besoins dans lesdits services ou formations.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députes, sera exécutée comme loi de l'État.

 

Fait à Paris, le 17 Août 1915.

Le Ministre de la guerre,
Signé : A. Millerand
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[1] Chambre des députés: Dépôt ler avril 1915, n° 835; Rapport de M.Paté le 20 mai 1915, n° 936; Rapport supplémentaire de M.Paté le 18 juin 1915, n°1026; .Adoption le 26 juin 1905. - Sénat : Transmission le 29 juin 1915. n° 232; Rapport de M.Chéron le 29 juillet 1915 , n° 279; Adoption avec modifications le 11 août 1915. - Chambre des députés: Retour le 12 août 1915, n° 1203; Rapport de M. Paté le 13 août 1915 et adoption le même jour.

Victor Dalbiez sur Wikipedia